L'histoire d'un sauvetage
Il y a 33 ans aujourd'hui, le Stade Brestois vivait sa pire semaine, celle de sa liquidation. Huit jours sous haute tension au cours desquels deux hommes se sont battus pour sauver ce qui pouvait l’être. Jean-François Quéré et Gilbert Martin nous ont raconté...
Saison 91
La DNCG vient à peine de naître. Comme pour mieux asseoir sa place dans le paysage du foot professionnel, elle souhaite la bienvenue aux clubs de Division 1. Et elle le fait à sa manière. Première victime de son règne : Brest. Pour l’exemple, diront certains. Mérité, penseront d’autres. Peu importe, au fond. Le club est rétrogradé en D2. L’équipe repêchée pour la remplacer à l’échelon supérieur s’appelle Rennes. Le club dépose le bilan le 21 octobre 91. Un mois plus tard, le 30 novembre, le Stade joue son dernier match officiel de D2. Le destin s’en mêle encore, la rencontre fatidique se déroulant chez le voisin guingampais. Et puis tout s’accélère…
Jour J-7
Le 6 décembre, la liquidation est prononcée par le TGI de Quimper devant les yeux de Gilbert Martin, président de la section amateur du Stade, et de Jean-François Quéré, vice-président. Ces deux compères de toujours vont alors vivre la semaine la plus folle de leur carrière de dirigeants. « La chance qu’on a eue, quand on s’est rendues, Jean-François et moi, à Quimper, c’est que les finances de la section amateur étaient saines, se souvient Gilbert Martin. A la tête de la trésorerie, il y avait Henri Cabioch, un homme très rigoureux, décédé depuis, à qui on doit une fière chandelle. Un peu grâce à lui, la structure amateur a été autorisée à reprendre les rênes du club ». Restait à savoir comment. Avec qui. A quel niveau. Autant de questions sur lesquelles se penche immédiatement Jean-François Quéré « l’administratif » du duo. Ex-président du club de Cléder, au Brest-Armorique depuis 1988, et fondamentalement engagé dans le football du département, le monsieur connaît, de longue date, un certain Noël Le Graët, président de la LNF (ancienne LFP) depuis un an. « Evidemment, je l’ai appelé. Il nous a fixé un rendez-vous le samedi 7 décembre, à 14h30, chez lui, à Ploumanac’h. Là, il nous a expliqué ce qui nous attendait, la semaine suivante, lorsque nous irions à Paris défendre les intérêts du club ».
Le jour J
Paris, semaine suivante. Un vendredi 13. Gilbert Martin et Jean-François Quéré sont arrivés la veille. Ils n’en mènent pas large. Gilbert Martin, plus particulièrement. « Pour moi, c’était tout nouveau. J’étais simple salarié d’une entreprise à l’époque. Le foot c’était un à côté ». Et à côté de lui, justement, ce jour-là, devant le conseil d’administration de la LNF composé des Molinari, Vautrot, Nicollin et consorts, il y a Platini. « Et moi, se souvient Gilbert Martin, il va donc falloir que je m’explique sur la manière dont j’envisage de reprendre le club. J’ai peur. Et Platini me met en confiance ». Dans la matinée, suite à une première délibération de la LNF, le Stade Brestois est autorisé à repartir de l’avant. « Mais il reste une seconde étape », coupe Jean-François Quéré. La plus délicate. Se rendre à la fédération, dans l’après-midi qui suit, et faire face au Conseil Fédéral présidé par Jean Fournet Fayard, seul décisionnaire du verdict. Les deux compagnons d’infortune s’y rendent. Et rebelote. Nouvelles explications. Nouvelles justifications. Si le duo ne convainc pas, le Stade Brestois devra, comme le stipule le règlement redémarrer en DSR. Une catastrophe. Finalement évitée. « Ils nous ont fait une fleur assure Jean-François Quéré. Je crois qu’ils tenaient tous à ce que Brest demeure une terre de foot ». Un sentiment qui transparaît d’ailleurs dans le communiqué de presse de l’époque, retrouvés par Jean-François Quéré. Le laconique Le Graët dira ainsi : « Nous avons réussi à sauver ce qui pouvait l’être. C’est l’essentiel, le club peut repartir ». Les membres de la Fédération, eux, iront plus loin : « Nous avons voulu tout faire, dans la limite du raisonnable et du possible, pour permettre à Brest de demeurer un pôle de football. Il ne fallait pas que le club recommence au plus bas de l’échelle comme le prévoit le règlement. Les deux dirigeants y ont été pour beaucoup. Ce sont des Brestois dans l’âme, des hommes expérimentés dans le football, des passionnés purs et durs. Ils nous ont fait une excellente impression même s’ils n’ont pas encore énormément de moyens ». Le Stade Brestois est donc autorisé à reprendre sa carrière, même si celle-ci devra redémarrer en D3. « Une vraie victoire pour nous », sourit Gilbert Martin.
Richard Honorine faisait partie des joueurs brestois en D3.
Jour J + quelques heures
Est enfin venu le moment de revenir vers Brest, la terre promise. Et là, c’est l’émotion qui étreint ces deux hommes devenus, un peu, des héros qui ne veulent pourtant pas en être. « Quand on est arrivés à l’aéroport de Guipavas, je me souviens de cette ambiance de victoire de Coupe du Monde », raconte Gilbert Martin. Des Brestois partout. Ils venaient de vivre une semaine entière comme on assiste un malade à son chevet, et leur protégé reprenait vie. Plus que de la joie, un vrai soulagement. Pour Jean-François Quéré, le retour à Brest s’apparente tout simplement à sa « plus forte émotion dans le football. Egale à celle ressentie quand le Stade est remonté en Ligue 2 ».
Et après ?
Le Stade repart donc en D3, autorisé à conserver certains joueurs sous contrat pro parmi tous ceux qui n’ont pas retrouvé de club. L’effectif se résume donc à cela : deux pros (Gilles Kerriou, Thierry Leblanc), six stagiaires et quatre aspirants. D’autres comme Makélélé, Guivarch ou Olivier Provost sont déjà en partance vers d’autres horizons. Gilbert Martin, quant à lui, assurera un intérim à la tête du club jusqu’à la fin de saison 93, assisté de Jean-François Quéré. Un peu plus de 33 saisons se sont écoulées depuis ces événements. Le Stade Brestois 29 a poursuivi sa route jusqu’aux bonheurs qu’on lui connaît en Ligue 1.
Gilbert Martin a disparu à l'âge de 69 ans ... Il fait partie de l'histoire du Stade Brestois. Un grand merci à lui pour ce qu'il a apporté au club, au sport brestois durant toutes ces années, en tant que président, actionnaire, partenaire et bien sûr supporter. Toutes nos pensées vont une nouvelle fois à sa famille et à ses proches. Repose en paix Gilbert.